Où en est-on des négociations entre la Suisse et l’Union européenne ?

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David contre Goliath
David contre Goliath

Après la débâcle du 9 février, les relations entre la Suisse et l’Union européenne (UE) s’annonçaient pour le moins laborieuses.

Le nouvel article de la Constitution suisse dicte un contrôle de l’immigration par des contingents, y compris les frontaliers.

Il prévoit des plafonds en fonction des besoins économiques du pays. Et exige une nouvelle négociation des traités internationaux qui lui sont contraires, dans un délai de 3 ans.

L’initiative contre l’immigration de masse

L’initiative « contre l’immigration de masse » oblige le Conseil fédéral (CF) à solliciter de nouvelles négociations avec ses voisins européens afin de trouver un accord en matière d’immigration. Mais pas seulement. Il s’agit aussi d’une négociation plus étendue, car l’UE menace de fermer l’accès au marché libre, la libre circulation des personnes et celle des marchandises étant étroitement liées. Toutes les bilatérales risquent de tomber par un effet de domino.

Avec une population étrangère de presque 24%, la Suisse est un des pays européens avec le plus haut taux de population étrangère. Le nombre des nouveaux arrivants a augmenté ces dernières années et 85% de cette immigration provient des voisins européens.

La position de l’Union Européenne

L’intégration du nouvel article 121a de la Constitution fédérale suisse dans les accords bilatéraux pose à Bruxelles une question délicate. Cet article est contraire au principe de la libre circulation qui représente le fondement même de l’Union. Récemment, le nouveau président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a annoncé à propos du Royaume-Uni, que ce principe n’était pas négociable.

La voix de la Suisse n’est pas la seule à s’élever dans le vieux continent. D’autres gouvernements européens ont requis devant les instances européennes des mesures restrictives et même punitives pour lutter contre la fraude sur le marché du travail et les abus à la sécurité sociale. Il ne s’agit pas moins que des gouvernements allemand, autrichien, néerlandais et celui de la Grande-Bretagne.

David et Goliath

La tâche du Conseil fédéral est ardue et la réponse qu’il apporte est pour le moins audacieuse. Pour lui, un cadre institutionnel doit être instauré entre la Suisse et les pays de l’Union afin de conclure un nouvel accord sur l’accès au marché avec l’UE. Il déclare qu’il s’agit d’une nécessité pour la Suisse notamment dans le cadre de la conclusion des accords sur l’électricité ou les produits chimiques.

C’est sous les offices de la nouvelle Haute représentante pour la politique extérieure et la sécurité de l’Union européenne (Federica Mogherini), que la question devra être débattue. Désormais la Suisse veut discuter avec Bruxelles non plus pour remettre en cause l’Accord de libre circulation des personnes (ALCP), mais pour revoir ses modalités d’application. Pour parvenir à préserver la voie bilatérale et maîtriser la politique migratoire, l’exécutif suisse devra faire preuve d’imagination. Face à une Union à 500 millions d’habitants, la Suisse avec sa population de 8 millions ne devra pas ménager sa peine.

L’avancement des négociations

Les négociations ayant repris, l’Union européenne exige avant tout nouvel accord, le règlement de quatre questions institutionnelles : la reprise du droit, son interprétation, la surveillance et le règlement des différends. Cette façon de conjuguer est cohérente à la logique dans laquelle avance l’Union. Sa dynamique transporte les Etats tiers et notamment leur évolution normative.

Jusqu’à présent la Suisse et l’UE sont parvenues à un accord sur deux des points réclamés par l’Union. Il s’agit d’abord de la surveillance, elle ne s’exercera que sur les territoires respectifs. L’idée de créer une instance supranationale de surveillance a été écartée.

Un accord a aussi été trouvé sur la reprise du droit européen. C’est une condition fondamentale pour la Commission européenne. Et c’est là que des voix s’élèvent. Légitimement se pose la question de savoir comment ce point sera articulé. 

Le rôle de la Cour de justice de l’Union européenne (CJ)

Des divergences persistent au sujet de l’interprétation du droit. Berne ne voudrait reconnaître la jurisprudence de la CJ que dans le cadre du droit européen. Alors que, l’UE voudrait soumettre le droit bilatéral à la compétence de la CJ, qui serait alors l’interprète du droit bilatéral. Burkhalter déclare que nous ne pouvons pas accepter que les avis de la CJ soient définitifs. En outre il précise qu’il ne sera pas question pour la Suisse de se faire condamner par un tribunal européen en cas de litige sur les accords.

Néanmoins, depuis longtemps et principalement dans le domaine économique le Tribunal fédéral suisse prête une oreille attentive à l’évolution du droit européen. Il adapte sa jurisprudence à celle européenne lorsque son droit interne le lui permet. D’un point de vue purement pragmatique les avantages sont considérables. Un cadre commun de règles facilite les échanges économiques, scientifiques ou administratifs. On citera en exemple, le fameux arrêt du Cassis de Dijon. Dans l’affaire, l’Allemagne avait interdit l’importation du cassis de Dijon car il ne respectait pas les règles allemandes ; la CJ a soutenu qu’une marchandise conforme aux règles d’un pays européen, pourra s’exporter dans toute l’Union, grâce au principe de libre circulation des marchandises.

Un nouveau mécanisme: le decision shaping

Le Conseil fédéral affirme qu’il est prévu d’avantage de coopération entre l’Assemblée fédérale et le Parlement européen. La reprise du droit européen se fera ; mais elle sera accompagnée d’une participation de la Suisse à son élaboration. C’est ce que l’exécutif appelle  la « decision shaping ». Rien que ca ! La participation de la Suisse à l’élaboration de la construction européenne. Il faut dire que jusqu’à présent la Suisse était spectatrice de cette évolution. Souvent contrainte de la suivre, elle ne pouvait faire entendre sa voix !

Pour le chef de la diplomatie suisse, ce droit de participation donne à la Suisse la possibilité de donner son avis avant même l’élaboration du droit européen. D’ailleurs, l’Assemblée fédérale a déjà demandé au Conseil fédéral des mesures lui permettant d’être informée suffisamment tôt sur les projets d’actes législatifs européens ayant une importance pour la Suisse.

Les changements législatifs

La réponse du Conseil fédéral aux inquiétudes exprimées dans le vote du 9 février, consiste aussi à renforcer les mesures qui accompagnement la libre circulation. Il s’agit de mesures mises en place afin de compenser la suppression des contrôles préalables des arrivants européens sur le marché du travail. Elles devraient permettre de mieux lutter contre la sous-enchère abusive aux conditions de travail et de salaire.

Dans ce but, le gouvernement suisse a lancé la procédure de consultation de la Loi fédérale sur l’optimisation des mesures d’accompagnement à la libre circulation des personnes.

Le projet prévoit d’augmenter les sanctions administratives et de faciliter l’extension du champ d’application des conventions collectives de travail ; et l’édiction des contrats-types de travail contenant des salaires minimaux impératifs. Une procédure d’extension facilitée est prévue en cas de sous-enchère abusive et répétée.

Il faut entendre par infractions répétées : lorsque dans plusieurs entreprises d’une région ou dans une entreprise unique mais qui dispose d’un certain pouvoir sur le marché, des infractions au salaire minimum fixé par le contrat-type au sens de l’art. 360a du Code des obligations suisse (CO), sont constatées vis-à-vis de plusieurs travailleurs.

Enfin, la loi sur les travailleurs détachés : prévoit des « sanctions administratives ayant une valeur pécuniaire allant de 5’000 à 30’000 francs qui n’ont pas un caractère pénal administratif vis-à-vis des entrepreneurs contractants indigènes et étrangers. »

Ces mesures promettent, à travers une augmentation de l’amende administrative, une meilleure exécution des conditions minimales de travail et de salaire. Le Conseil fédéral précise que les changements qu’il souhaite apporter à Loi sur les travailleurs détachés correspondent à la directive européenne sur les travailleurs détachés et n’excédent pas la marge de manœuvre nationale qui y est prévue. Il se garde aussi de souligner les bienfaits économiques que la libre circulation a apporté à la Suisse ces dernières années.

La procédure de consultation

Actuellement, le gouvernement suisse consulte l’avis des cantons, des partis politiques, des associations faîtières de l’économie qui œuvrent au niveau national, ainsi que des autres milieux intéressés.

Il convient ici de signaler que la reprise de la négociation et le maintient de la voie bilatérale a été largement applaudi par les milieux économiques.

On pourrait aussi croire que l’UDC s’accommodera de cette voie, tant que la question de l’immigration est réglée. Néanmoins, elle a devancé les négociations en prévoyant de lancer une initiative populaire qui prône « la primauté du droit suisse, face au droit international ».

Quel engagement institutionnel

Divers experts recommandent de renforcer la clause de sauvegarde, déjà prévue dans les bilatérales. Cette clause permet à la Suisse de limiter pendant un an l’immigration lorsqu’un seuil est atteint. Elle ne concerne que les personnes au bénéfice d’un permis de travail, en excluant ainsi les frontaliers.

Dans l’ébauche d’accord institutionnel envisagé par Berne et Bruxelles, la Suisse s’en sortira peut être par une pirouette de politique et de droit. Mais on ne peut s’empêcher de croire que tout en avançant vers l’Union, à travers la voie bilatérale, elle garde toujours un pied dehors. Et le Conseil fédéral le sait que trop bien. Il n’est jamais à l’abri d’un deuxième 9 février. La question est aujourd’hui de savoir jusqu’où ira son engagement institutionnel  !

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