Grèves et protestations : les enjeux

Les grèves - un cri pour se faire entendre lorsque toutes les autres voies de communication ont été ignorées.

Dans notre précédent article sur les grèves, nous avons pris l’exemple de la France, du Royaume-Uni et de la Suisse. Nous avons brièvement décrit ces manifestations et observé les résultats obtenus.

Dans cet article, nous nous concentrons sur les différences entre ces mouvements. Traditions politiques, importance des syndicats, modes de participation démocratique… comment ces mouvements sociaux se distinguent-ils ?

Sommaire :

 

Différentes expressions du mécontentement

Les revendications sociales s’expriment de façon différente dans chacun des trois pays.

Au Royaume-Uni, le mécontentement s’exprime par des explosions sociales rares mais de grande amplitude comme la grève des mineurs combattue par Margaret Thatcher, celle de la Poll Tax, etc.

En France, depuis de nombreuses années les expressions de mécontentements s’enchaînent. Mouvement des gilets jaunes, manifestations contre les mesure anticovid, pour compenser de l’inflation, contre la réforme des retraites. La porte de la conciliation et du compromis se ferme de plus en plus…

En Suisse, pays de compromis, les mouvements sociaux sont plus brefs. Si les objectifs de la grève ne sont pas atteints, une initiative ou les élections permettent de poursuivre le combat. Le dialogue reste ouvert.

 

La fin du “quoi qu’il en coûte” a du mal à passer.

Dans des moments difficiles, la cohérence des discours gouvernementaux est importante.

Pendant des mois les gouvernements ont dépensé à tout va pour tenir leurs économies à bout de bras. Quelques mois plus tard, comment la population pourrait-elle accepter la rigueur budgétaire nécessaire à l’équilibre des comptes de la nation ?

Après l’argent facile, les taux d’intérêts négatifs, les déficits vertigineux, comment faire accepter que maintenant le pays doit se conformer à une orthodoxie budgétaire ? Comment être crédible quand on dit que l’inflation est en train de baisser alors que l’objectif de certains est juste de boucler le mois ?

En effet, ce n’est tout simplement pas compréhensible pour la partie de l’opinion qui a déjà discrédité les actions passées de leur gouvernement. C’est rendu encore moins compréhensible quand des experts économiques, partisans de la “relance par la demande” voient les déficits comme potentiellement bénéfiques.

Cet agacement de la population face aux discours gouvernementaux se retrouve au Royaume-Uni, en France et en Suisse.

 

L’impact de la dette publique

L’intransigeance de la France ou du Royaume-Uni face aux revendications peut aussi s’expliquer par leurs dettes publiques particulièrement élevées.

En novembre 2022, celle de la France s’élevait à 113% du PIB, dont 49,8% est due à des investisseurs étrangers. Au Royaume-Uni, la dette publique était de 98,7% du PIB en novembre 2022. 38,4 milliards ont été récemment vendus à des investisseurs étrangers.

Le fait qu’une partie de la dette publique appartienne à des investisseurs étrangers oblige les États à emprunter régulièrement.

Si ces investisseurs étrangers viennent à revendre la part de la dette publique qu’ils détiennent, emprunter sera alors plus cher. Or, dans le contexte général de remontée des taux d’intérêts, les gouvernements se doivent de rester cohérents.

Néanmoins, les partisans d’une certaine flexibilité des déficits publics ont aussi des arguments. La forte épargne des ménages et des entreprises pondère le déficit public. Le poids de l’élévation des taux d’intérêts sur la charge de la dette est réduit par l’effet bénéfique de l’inflation sur la collecte de la TVA.

Il y aurait donc matière à échanger et négocier. Mais comment peut-on dialoguer si on ne partage pas le même référentiel ? Si chacune des parties prenantes refuse la rationalité de la partie adverse ?

 

Les syndicats courroies de dialogue social

Comment faire des concessions mutuelles si les parties ont des visions radicalement différentes ? Quand une partie des protestataires veulent en découdre, les syndicats sont là pour contribuer à un déroulement contrôlé des oppositions.

Quand les tensions montent, savoir lancer une grève, monter les enchères, négocier et arrêter une grève sont un savoir-faire utile porté par les syndicats.

En France, le taux de syndicalisation n’a jamais été aussi bas. C’est ce qui donne lieu à des mouvements sans leader, non coordonnés et avec lesquels il est difficile de discuter. Mis en concurrence avec les initiatives qui leur échappent, des syndicats sont alors poussés à faire de la surenchère pour obtenir de bons résultats aux élections professionnelles.

En Angleterre en revanche, le taux de syndicalisation a augmenté après la crise du COVID-19 et a donné lieu à des mobilisations plus efficaces. Dans le secteur privé, les employés d’entreprises privées ont pu obtenir gain de cause.

En Suisse, le taux de syndicalisation est relativement bas, environ 14,4% en 2020. La paix du travail suisse, facilitée par ses conventions collectives de travail, ne passe pas obligatoirement par l’intervention des syndicats.

La nécessité de se syndicaliser serait moins grande dans un pays où l’accès à des avantages sociaux n’est pas conditionné à l’appartenance syndicale et où sa voix peut être entendue par d’autres canaux de la vie démocratique.

 

La démocratie directe, soupape du mécontentement

En Angleterre, depuis des siècles la démocratie anglaise et la chambre des communes ont trouvé des arrangements entre travaillistes, conservateurs et libéraux. Elle donne un oxygène salutaire aux débats.

En France, les récentes injures entre députés, interruptions et postures asphyxient le débat à la chambre des députés et font obstruction à l’exercice du pouvoir. Espérons que les insultes et invectives entre députés français n’empêchent pas les futures sorties de crise.

La demande de mise en place d’un référendum d’initiative populaire par les gilets jaunes aurait pu donner un canal d’expression direct des préoccupations de la population. Toutefois, cette demande a été vite enterrée par les forces politiques qui ont récupéré le mouvement.

C’est dommage car la démocratie directe Suisse semble favoriser la fluidité des négociations sur les questions sociales. Les initiatives ou les votations directes permettent logiquement aux citoyens suisses de se sentir impliqués dans le champ politique.

En France et au Royaume-Uni, une partie de la population aurait le sentiment que la politique se fait sans eux.

La possibilité de proposer une initiative populaire permet à un citoyen de mettre un sujet sur le devant de la scène politique. Même si cette dernière n’aboutit pas ou est refusée en votation, le conseil fédéral propose souvent des contre-projets pour pallier au problème soulevé.

Ce caractère participatif de la démocratie suisse donne l’opportunité à tous de s’exprimer. Ainsi, même ceux en désaccord avec la politique menée sont moins frustrés que s’ils n’avaient pas eu la possibilité de participer.

Les procédures de consultation de groupes d’intérêt concernés avant l’élaboration d’une loi sont aussi un bon exemple d’interaction…

Cela est rassurant pour la prospérité Suisse. Tant qu’existent des niveaux d’échanges, de négociation, de compromis, les revendications salariales légitimes trouveront du répondant

 

Exit, Voice and Loyalty

Les travaux théoriques d’Albert Hirschman illustrent bien la situation. Son livre Exit, Voice and Loyalty décrit les types de comportements impliqués par les défaillances d’une entreprise ou d’une institution publique.

Selon cette théorie, face à une difficulté, les utilisateurs d’un système peuvent adopter trois comportements : la défection, la prise de parole ou le loyalisme. Ainsi, la défection revient à sortir du système. La prise de parole exprime ce qui ne va pas. Le loyalisme signifie que l’on accepte le statu quo par loyauté pour le système.

Dans le cas actuel, les manifestants et grévistes choisissent la prise de parole. Ils montrent leur mécontentement en espérant que les problèmes qui sont pointés soient corrigés. Or, d’autres ont déjà choisi la stratégie de défection.

Pour un État et ses citoyens, la stratégie de défection revient à sortir du paradigme ambiant et refuser les mécanismes stabilisateurs de la société et de l’économie. Souhaiter la rupture avec le système, se retrancher dans un communauté de pensée, opter pour des économies parallèles, quitter son pays.

Le nombre de nouveaux nouveaux résidents en Suisse, expatriés, frontaliers, illustre que la Suisse bénéficie du phénomène de défection en provenance de pays européens.

Notre Dossier : Suisse et Europe

About the author

Étudiante en science politique à l'université de Genève, Léa vit en France et s'intéresse particulièrement aux problématiques frontalières. Elle souhaiterait par la suite se spécialiser dans la communication et les médias.

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