Quel Salaire Minimum en Suisse? (1/2)

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Quel salaire minimum en Suisse?Quel salaire minimum en Suisse suite à la votation à Genève ?

Quelle est cette nouvelle réglementation genevoise qui impose un minimum de 23 francs de l’heure et qui entre en vigueur le 1er novembre 2020? quels gagnants? Quelles différences et similitudes par rapport aux autres cantons où le salaire minimum s’applique? Comment expliquer le revirement des Genevois sur le salaire minimum le 27 septembre 2020 après les deux rejets successifs des années précédentes ?
On fait le point.

Alors que cet article de la série décrit les salaires minimums des quatre cantons suisses, l’article suivant se concentre sur les potentiels effets du salaire minimum.

Sommaire :

Genève, 4ème canton suisse avec un SMIC

Les Genevois ont accepté, dimanche 27 septembre, une initiative pour établir un salaire minimum dans le canton. Une mesure absente de la réglementation fédérale, mais en vigueur à Neuchâtel, au Jura et au Tessin.

L’objectif de la votation était de lutter contre le phénomène de précarisation et le dumping salarial. Avec une large majorité populaire de 58,15% de voix favorables (pour une participation atteignant 54,16%), la gauche et les syndicats à l’origine du projet savourent leur victoire. Le gouvernement s’y était opposé. La mesure est prévue entrer en vigueur le 1er novembre. Les principaux secteurs concernés sont l’Hôtellerie-restauration, le commerce de détail, les entreprises de livraison ou de nettoyage, où les rémunérations sont particulièrement faibles.

Un salaire de combien à Genève?

Le résultat de l’initiative « 23 francs suisses [de l’heure] c’est un minimum » équivaut à un salaire mensuel de 4’068 francs (soit environ 3’800 euros) pour 41 heures de travail hebdomadaire. Il s’agit là du salaire minimum le plus élevé au monde… dans la troisième ville la plus chère du monde.

Son indexation se fait chaque année sur la base de l’indice des prix à la consommation du mois d’août. Seulement si l’indice des prix à la consommation augmente. Après la votation, vient le temps de l’interprétation et de l’application. L’Etat, les Syndicats et le patronat calculent l’indexation de manière différente. Selon, le résultat des négociations le salaire horaire 2020 sera de 23 francs ou 23,14 francs ou encore 23,37 francs. Le Conseil d’Etat a tranché pour un salaire de 23,14 francs dès le 1er janvier 2021 sur la base de l’indice d’août 2020. Insatisfaits par l’arrêté de mise en oeuvre de l’initiative, les syndicats ont fait recours en justice.

Le salaire minimum s’applique dans le cas ou un contrat individuel, un contrat-type ou une convention collective définit un salaire inférieur à 23 CHF de l’heure. Cependant, il ne concerne pas les jeunes de moins de 18 ans, les apprentis et les stagiaires. Tout comme les secteurs de l’agriculture où il est de 16,90 francs de l’heure (17 francs en 2021), et de la floriculture où il est fixé à 15,50 francs (15,60 francs en 2021). Un autre point que dénoncent les syndicats et qui les motive dans leur action en justice à l’encontre de l’application proposée.

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Les femmes, gagnantes de la réforme

30’000 personnes, soit 6,3% de la population locale vont bénéficier d’une hausse de salaire.

Parmi ceux-ci, deux-tiers sont des femmes qui empochent moins de 4’000 francs à la fin du mois. Le syndicat Unia souligne que la moitié des femmes ont un salaire inférieur à 3’500 francs par mois ». La population de travailleurs à bas salaire (les « Working poors » comme on les appelle), serait ainsi à majorité féminine, composée surtout de mères célibataires.

Pour l’économiste français Pierre Concialdi (1), les inégalités entre hommes femmes dans les conditions d’emploi se reflètent de façon la plus marquante dans les bas salaires aujourd’hui.

Les quelques frontaliers employés avec des salaires réduits, peuvent se réjouir de cette évolution notable.

La pauvreté en toile de fond

De nombreuses personnes vivent à la limite voire sous le seuil de pauvreté. En Suisse, ce seuil est fixé à 2’247 francs par mois pour une personne seule et à 3’981 francs pour un ménage de deux adultes et deux enfants.

Or, dans l’ensemble du pays, la pauvreté se propage au fil des ans. Ce sont 670’000 personnes qui y sont confrontés, soit 8,2% de la population en 2017 (Office Fédéral de la Statistique – OFS).

Selon les estimations de l’institut BAK Economics, la pandémie devrait amener une perte de revenu en Suisse de 15 milliards de francs en 2020 et 2021, soit 1’700 francs par habitant.

La crise sanitaire Covid, un coup de pousse ?

La pandémie aurait mis la lumière sur des professions en première ligne et en précarité. Cette frange de la population la plus fragile, qui du jour au lendemain n’a plus perçu de revenus, a en effet payé le prix fort du confinement et des mesures de distanciation sociale imposées depuis mars 2020.

Témoins des profondes inégalités sociales révélées en plein jour, les Genevois ne sont pas restés indifférents aux images de centaines de personnes démunies faisant la queue pour la distribution de nourriture en ville. À en croire plusieurs analyses, ces scènes marquantes ont probablement influé de nombreux votants à voter « Oui » au salaire minimum. Elles auraient aussi contribué au succès de la récolte des signatures nécessaires pour le projet. 7’000 signatures ont été collectées en 3 semaines.

Un combat ancien

La partie n’était pas gagnée d’avance. Les Genevois ont voté sur la question après deux tentatives ratées. En 2011, Genève et le canton de Vaud n’avaient pas donné suite à un premier texte prônant l’instauration d’un salaire minimum cantonal.

L’initiative populaire fédérale « Pour la protection des salaires équitables » lancée par la gauche en 2014 exigeait 4’000 francs par mois pour tous. Elle a été rejetée par 76,3% des suffrages exprimés et l’ensemble des cantons, sans exception. Elle a même été rejetée à Neuchâtel, au Jura, au Tessin alors que ces cantons ont voté ces dernières années en faveur d’un salaire minimum au niveau cantonal. Les résultats des votations sur ces sujets généraux apparaissent fortement corrélés avec l’actualité du moment.

Particularités des SMIC à Neuchâtel, au Jura et au Tessin

Pionniers en matière de plancher salarial, les Neuchâtelois ont donné leur feu vert le 27 novembre 2011. Les opposants ont saisi le Tribunal fédéral. Après plusieurs recours, son arrêt du 27 juillet 2017 avalise le tarif-horaire de 20 CHF.

Le texte est entré en application en octobre 2017. Cet appui décisif de l’instance judiciaire suprême helvétique a ouvert la voie aux autres cantons pour la réglementation d’un salaire minimum cantonal.

L’évolution du salaire minimum Neuchâtelois se fait annuellement en août. L’indice des prix à la consommation de l’année précédente et l’indice de base d’août 2014 servent à son calcul. Pour l’année 2019, le salaire brut était fixé à 20,02 CHF de l’heure. Il est en revanche de 17,02 CHF de l’heure dans les secteurs agricoles.

Pareillement, dans le Jura, le salaire minimum de 20 francs, accepté par les citoyens en 2013 et mis en oeuvre en 2018, s’applique à tous les secteurs économiques. Sans la différenciation qui se pratique à Neuchâtel et à Genève. Il ne s’applique pas pour les branches économiques signataires d’une Convention collective de travail (CCT) dans lesquelles il y a mention d’un salaire chiffré. Dans le Jura ce sont les salaires des contrats de travail-types qui s’imposent. C’est l’inverse à Genève. Néanmoins, l’évolution du coût de la vie, l’évolution du marché du travail et de la conjoncture sont des variables en fonction desquelles le gouvernement du Jura peut adapter le salaire.

Les Tessinois ont approuvé une rémunération minimale en 2015. Validée seulement en décembre 2019 par le Parlement cantonal. Le salaire minimum du Tessin est compris entre 18,75 et 19,25 francs (soit 3’372 et 3’462 francs mensuels). Il est légèrement inférieur à celui prévu dans l’initiative et n’est pas identique selon le secteur et l’activité. Il sera, à la différence des trois autres cantons, augmenté ces quatre prochaines années. Dans la même logique que dans le Jura, il s’applique lorsqu’aucun salaire n’est mentionné dans la convention collective.

Opportunité politique, mise en oeuvre et effets

Le salaire minimum s’est imposé dans quatre cantons après un long combat des syndicats, de la gauche et des Verts. A Genève, ces forces politiques ont enchaîné les succès aux dernières votations. Ces succès ont précédé la crise sur le sujet des conditions avantageuses de la prévoyance des fonctionnaires. Ils se sont poursuivis après la première vague du Covid qui a affiché la paupérisation d’une partie de la population. Cela a probablement contribué à sa dernière victoire.

Chacun des 4 cantons applique le salaire minimum (SMIC en France) de manière spécifique. Leurs applications se différencient selon le montant du salaire horaire (et son augmentation anticipée ou non), selon le secteur économique, la primauté ou non des contrats-types de travail, l’effet sur les conventions collectives.

La mise en application à Genève en 2020 vient ajouter deux différences majeures par rapport aux expériences des autres cantons :

  • La taille de la population impactée (3’000 à Neuchâtel et 30’000 à Genève)
  • La période de récession de l’économie Genevoise durement touchée par la première vague de Covid

L’effet de la mesure a été jugé neutre sur l’économie de Neuchâtel et ses 3’000 salariés impactés. Le même effet n’est pas assuré à Genève. Genève a 10 fois plus de salariés qui bénéficieront du salaire minimum, une économie en plein repli, un endettement cantonal vertigineux qui limite la capacité d’amortir le choc par des aides cantonales. Comment vont réagir les entreprises ? quels seront les effets sur l’emploi ? C’est ce que nous allons aborder dans le prochain article de la série.

Notes :
(1) Pierre Concialdi, revue-l-economie-politique

Le Dossier: Salaires en Suisse

 

https://welcome-suisse.ch/2020/10/salaire-minimum-suisse-effets-17102.html

La magie de Neuchâtel : salaire minimum et baisse des prix!

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https://welcome-suisse.ch/2020/01/guide-des-salaires-du-frontalier-12868.htmlh

Évolution des salaires en Suisse

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Salarié frontalier : à quoi correspondent vos cotisations sociales en France et en Suisse?

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About the author

Diplômé d'un Master en Affaires européennes de l'Université de Genève, j'ai une expérience de journaliste. Spécialisé dans la gouvernance européenne, je m'intéresse aux enjeux politiques, économiques et sociaux contemporains.

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